Le poisson de cirque [PV Fred]

Qu'est-ce qui peut être pire qu'avoir un après-midi de congés ? Des vacances je dirais. Mais vu qu'il faut composer avec... Je m'adapte. Une fois rentrée chez moi, j'ai eu beau faire le ménage, laver mon linge, il me reste encore du temps à tuer. Beaucoup trop d'heures à mon goût avant de reprendre le travail. Je regarde mon appartement, immaculé. Cette vision est déprimante au possible. Sans plus attendre, j'enfile un manteau et prends mon sac. Qu'importe plutôt que de rester enfermée ici.

La ville regorge de vies. Toutes plus anonymes que les autres. Je regarde avec curiosité les passants. J'imagine ce que peut être leur vie, à chacun d'entre eux. Un homme en costume avec une serviette me frôle. Je peux sentir le parfum d'une femme à son contact. Sa femme ? Sa maîtresse ? Ou alors, un penchant inavoué pour le travestissement ? Là, une ménagère qui semble exténuée. Pas qu'elle soit négligée. Mais son regard vide montre qu'elle porte toutes les peines du monde. Ses joues creusées par le manque de nourriture et par la fatigue me rendraient presque jalouse. Qui va-t-elle retrouver ce soir chez elle ? Combien d'enfants ? Est-ce que son époux, en rentrant du travail, l'embrassera tendrement sur le front ? Elle lui posera probablement des questions sur sa journée et les enfants regarderont la télé de leur côté, riant devant des dessins animés.

Je ne sais pas pourquoi mais je me retrouve devant un grand bâtiment. La devanture annonce un aquarium. Est-ce un endroit de circonstance parce que j'ai l'impression de toucher le fond ? Non, je ne crois pas. Je me sens dans cet état en permanence, alors pourquoi aujourd'hui ? Je rentre et achète un ticket. Je commence la visite dans un état second. L'atmosphère est apaisante.

Même si voir ces poissons coincés dans leur aquarium a un côté déprimant... Je m'approche d'une des vitres et regarde les poissons nager au gré de leur envie. L'un d'eux s'approche de la vitre et fait des pirouettes avec entrain. Un petit sourire se glisse sur mes lèvres tandis que je place mon doigt contre la vitre, tentant de suivre le poisson dans son jeu. Et finalement, nos gestes se coordonnent. A croire que nous avons répété ce numéro toute notre vie. Finalement, je stoppe mon geste et m'assoies sur un banc juste derrière. Je peux ainsi contempler mon petit poisson de cirque tout à loisir.

Les rires des enfants et les chuchotements des amoureux me semblent résonner avec force ici. Je ne vois aucune personne seule. Que ce soit en binôme ou en trio, les gens ne sont pas seuls. J'aimerais me fondre dans la masse. Être la meilleure amie de cette fille, qui se tient avec son amoureux et qui rigole à ses blagues. Être la tante de ce petit garçon qui a l'air surpris de voir de si gros poissons ici.

J'ai beau le penser, ça n'arrive pas. Quand j'étais petite, je me disais qu'avec un peu de bonne volonté et si on y croyait suffisamment, tout pouvait arriver. Et puis... J'ai grandis je suppose. Je regarde avec un sourire envieux l’innocence d'un groupe d'enfants. Si j'en secoue un pour lui dire d'en profiter, on me prendra sûrement pour une folle, non ?

Mon petit poisson continue de faire ses tours.

Admin Messages : 100 Date d'inscription : 23/07/2013

Mes jours de repos sont rares, puisque même lorsque je n'ai pas à me rendre au journal, je suis toujours en vadrouille à la recherche d'articles. Un journaliste se repose t-il vraiment ? Disons que je ne lâche jamais ma plume et mon esprit reste affuté, espion du monde qui l'entoure. Mais aujourd'hui, c'est un cas exceptionnel. Ma mère m'avait demandé depuis plus d'une semaine de l'emmener visiter Kumano. Après avoir visité Osaka, elle avait envie de connaitre la ville où je viens tous les jours travailler. Ma journée lui est donc réservée.

Le matin, nous avons visité l'un des trois grands sanctuaires de la ville. Comme elle marche moins bien que dans sa jeunesse, nous n'en avons fait qu'un, mais c'est, selon moi, le plus spectaculaire des trois puisqu'il s'agit du Grand Sanctuaire de Kumano Nachi Taisha, près des chutes vertigineuses de la cascade Nachi. Il a fallut grimper 350 mètres pour mériter la vue. Moi-même, je n'y étais pas encore venu et je n'ai pas regretté la balade. Je suis resté longtemps en contemplation pendant que ma mère arpentait longuement la boutique souvenirs. Ma mère et ses babioles, cartes postales et compagnie...

Puis nous avons mangé dans un petit resto modeste du centre-ville. Nous n'avions pas de programme pour l'après-midi, mais en errant au gré des rues, nous avons vu l'entrée d'un aquarium. Comme ma mère est aquariophile et que de ce fait, nous n'avons pas manqué de visiter le grand aquarium d'Osaka, l'un des plus spectaculaires du Japon, nous avons voulu (enfin ma mère surtout) comparer avec celui de Kumano. Le prix beaucoup plus abordable a finit de nous convaincre d'entrer.

J'avoue ne rien connaitre sur les poiscailles, mais la vie sous-marine a indéniablement quelque chose de fascinant. Pendant que ma mère apprend par cœur le fascicule fournis avec le billet d'entrée, ainsi que le guide qu'elle s'est empressée d'acheter, je me contente de plonger mon regard dans le fond de ces grands aquariums joliment aménagés. Tout ce calme m'apaise, m'invoque la sérénité et m'impose du respect. En tout cas, pour ce qui est derrière les vitres. Car dans les allées, l'ambiance n'est pas aussi reposante. Pourtant, j'arrive à plutôt bien m'en détacher pour profiter du calme des profondeurs.

Ma mère me tire sur le bras, me sortant de ma contemplation marine. Elle me dit qu'elle a mal aux jambes et qu'elle veut faire un break. Je repère le banc où elle part s'asseoir et qu'elle va devoir partager. De dos, je ne reconnais pas la personne qui y est installée et me replonge aussitôt dans l'océan artificiel. Un moment se passe. Difficile de dire combien de temps car j'en ai perdu la notion. Je me retourne sur le banc et ne voit plus ma mère. Légèrement inquiet, j'approche de l'endroit, tout en la cherchant du regard dans les environs, en vain. Mais en m'approchant, je reconnais Jeanne Dubreuil, cette femme médecin venue de France avec qui j'ai bu un verre un soir. Cela remonte à une dizaine de jours déjà. Quelle coïncidence ! Je m'étonne de sa présence ici, mais compte tenu de la personne que j'ai pu partiellement connaitre, je ne m'étonne pas en revanche de la trouver seule. Je finis de m'approcher et lui sourit, oubliant momentanément ce qui m'amène vers ce banc :

"ça alors ! Bonjour !"

Je lui tend la main pour la saluer. Après tout, ni elle ni moi ne sommes japonais, nous pouvons donc garder nos coutumes occidentales.

"Vous me remettez ? Fred Wentworth. Journaliste. Ou plutôt, fouille-merde." dis-je avec humour et sympathie. Comme je regrette subitement qu'elle ne m'ait pas contacté, que ce soit au sujet de la vieille dame agressée ou simplement pour le plaisir de l'entendre.

Je suis perdue dans la contemplation de la vie sous-marine que j'ai sous les yeux. Pour un peu, je pourrais me croire à l'intérieur de cet aquarium. Alors, j'ouvrirais la bouche et quelques bulles en sortiraient. Pourtant, ce n'est pas le cas. Je suis toujours en compagnie de mes semblables qui se contentent d'errer et de regarder les poissons emprisonnés. Un peu comme le zoo. Enfin... Pas complètement non plus. Il y a quelque chose de pathétique dans le regard des animaux que l'on peut voir au zoo. Ce qui n'est pas le cas avec les poissons. Pourtant, que ce soit au zoo ou à l'aquarium, aucun animal n'est dans son habitat naturel. Je souris malgré moi en pensant que c'est peut être mon cas également.

"ça alors ! Bonjour !"

Je me retourne, étonnée d'entendre cette voix que je crois reconnaître. Effectivement, c'est bien Fred Wentworth. Un article sur la vie des poissons ? Hum... J'en doute. Pendant quelques secondes, je me demande ce qu'il peut bien faire ici. Peut être est-ce la même chose que moi ? Un égarement passager qui l'a conduit en ces lieux. Je serre la main qu'il me tend et souris.

"Vous me remettez ? Fred Wentworth. Journaliste. Ou plutôt, fouille-merde."

- Je ne vous ai pas oublié, Fred.

Comment aurais-je pu ? Il est la première personne dans ce pays avec qui j'ai eu un vrai contact. Je veux dire : autrement que pour une auscultation ou que pour de simples présentations. Une vraie conversation en somme. Je rajoute en secouant la tête :

- Fouille merde ? Vous êtes dur avec vous-même. Où sont passés vos grands discours sur le journalisme et l'importance de l'information ?

Je ne lui avouerais pas que j'ai lu son article dans le journal. Que je l'ai trouvé bon même. Rien à voir à celui auquel je m'attendais. Il n'y avait aucune part de sordide dans ce que j'ai pu lire. De la consternation. Un ton déploré pour ce qui se passe trop souvent dans les rues de la ville. Cet article m'a plu et je ne crois pas que je pourrais l'admettre devant lui. Je poursuis, d'un ton que je veux détaché :

- Que faites-vous là ? On a constaté une agression entre deux poissons ? Y a-t-il eu des blessés lors de la rixe ?

Je tente de faire de l'humour mais ayant peu l'habitude, ma tentative tombe à plat. Je préfère garder le silence de peur de faire une autre gaffe verbale. Je tourne la tête. Mon petit poisson, qui faisait des tours, s'amuse maintenant à nager de bas en haut. Soit il se fout royalement de ma gueule (et soyons raisonnable, un poisson ne peut se moquer de qui que ce soit) soit il complètement taré et aime faire le show pour les visiteurs. Aucune des deux solutions ne me satisfait. Je préfère y voir un signe d'encouragement.

Admin Messages : 100 Date d'inscription : 23/07/2013

Le simple fait qu'elle ne m'ait pas oublié me procure beaucoup de satisfaction. Elle aurait tout à fait pu me zapper de ses souvenirs, d'autant plus qu'elle s'était envoyé trois grands whiskys ce soir là. Peut-être plus. Mais ce qui m'impressionne, c'est qu'elle se souvient du contenu de mon discours pour tenter de la dissuader de me cataloguer comme le premier journaliste gratteur de papier pour faire du sensationnel à deux ronds. Soit cette femme a de la mémoire, soit je l'ai marqué pour une raison que j'ignore encore.

- Que faites-vous là ? On a constaté une agression entre deux poissons ? Y a-t-il eu des blessés lors de la rixe ?

La phrase est drôle mais comme elle le dit sur un ton désabusé, presque lassé, je me demande si elle fait de l'humour ou si elle veut se moquer de moi. Dans le doute, je souris et réponds simplement, sans tenir compte de la vanne :

"Et bien, je visite. J'essaye de faire autre chose de mon temps libre que nager dans la crasse mentale des petits détrousseurs de vieilles dames. Et aux dernières nouvelles, je cherche ma mère qui était assise là il y a un instant."

J'ignore que cette dernière s'affaire dans mon dos à chercher de jolies cartes postales de poissons, car derrière moi se situe la boutique souvenirs que je n'ai pas encore remarqué. Pour le moment, je suis avec Jeanne et je me demande si j'ai eu bien fait de lui dire que j'étais venu là avec ma mère. ça fait petit garçon à sa môman, image que je me serais bien passé de donner à cette femme forte et indépendante. Mais je ne doit pas en avoir honte. C'est ma vie. Je n'ai pas envie de porter de masque et prétendre être un autre homme. Je sais, moi, que je ne suis pas collé dans les jupes de ma mère par préférence. Mais elle n'a que moi dans ce pays, et pour le moment je n'ai qu'elle. Elle vient de perdre son frère avec qui elle était fâchée depuis des années. Nous n'en parlons jamais mais je sais que ma présence l'aide à avancer.

Jeanne Dubreuil regarde quelque chose que je ne vois pas. Je me tourne pour observer un grand aquarium avec un poisson qui fait des allées et venues de haut en bas derrière la vitre. Je n'y prête pas plus attention que cela, ignorant le "lien" qui unit Jeanne à ce poisson, et j'essaye de savoir ce qu'une femme comme elle fait dans un endroit comme celui là :

"Vous aimez la vie sous-marine ?"

Vous êtes venue seule ? Voilà la réelle question que je voulais lui poser. L'autre soir, elle a eu beau dire qu'elle vivait seule, ça ne veut pas dire qu'elle est seule en permanence. Il doit bien y avoir des amis et des prétendants auprès d'elle. Pourtant, même en me disant ça, je me dit que ça ne colle pas. En fait, je n'arrive tout simplement pas à l'imaginer dans cet endroit, ni seule ni avec un cercle d'amis. Elle est peut-être en rendez-vous ? ça aurait mal tourné et elle serait restée là ? Ou bien son partenaire est aux wc ?

Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'est pas là pour le travail. A moins qu'elle ne soit aussi vétérinaire ?

Sans plus me préoccuper de ma mère pour le moment, je m'assois à côté d'elle sur le banc et me laisse prendre au jeu de ce poisson qui doit passer pour fou ou pour le débilos du coin auprès de ses congénères. Jeanne et moi sommes comme le public de l'US Open, sauf que nos regards vont de haut en bas au lieu d'aller de droite à gauche.

» Fred Wentworth
» /Absence/ Fred & Ken